Et si on pouvait tuer les punaises de lit avec un champignon ? C’est la piste explorée par des étudiants chercheurs de l’Institut Hospitalo-Universitaire de Marseille. Le principe : utiliser le Beauveria Bassiana, un champignon pathogène qui pénètre à l’intérieur du corps de la punaise et se nourrit de son hôte jusqu’à sa mort. Zoom sur ce moyen de lutte biologique prometteur.
L’essentiel de l’article
➡️ Beauveria bassiana est un champignon entomopathogène utilisé depuis longtemps en agriculture pour tuer certains insectes nuisibles.
➡️ Des étudiants de l’IHU Méditerranée Infection à Marseille ont développé un piège innovant, baptisé Breaking Bugs, qui attire les punaises avec des phéromones avant de les contaminer avec le champignon.
➡️ La punaise infectée ne meurt pas immédiatement, ce qui lui laisse le temps de contaminer d’autres membres de la colonie : c’est l’effet domino biologique.
➡️ Ce biopesticide agit sur tous les stades de développement (adultes, nymphes, œufs), contrairement à certains insecticides chimiques.

Le Beauveria Bassiana : un champignon tueur d’insectes
Le Beauveria bassiana n’est pas un champignon comme les autres. Invisible à l’œil nu, il est naturellement présent dans les sols et appartient à la famille des champignons entomopathogènes, c’est-à-dire capables d’infecter et de tuer des insectes. Son efficacité est d’ailleurs bien connue dans le monde agricole, où il est utilisé depuis plus d’un siècle comme biopesticide naturel contre les ravageurs de culture.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que ce champignon pourrait aussi représenter une arme redoutable contre les punaises de lit. Lorsqu’un insecte entre en contact avec les spores du champignon, ces dernières s’accrochent à sa cuticule (sa carapace). Puis, elles germent et pénètrent dans le corps de l’insecte à l’aide d’enzymes spécifiques. Une fois à l’intérieur, le champignon se nourrit de l’hémolymphe (le sang des insectes), se multiplie et finit par tuer sa cible, généralement en une dizaine de jours. Contrairement aux insecticides classiques, le Beauveria bassiana agit de façon biologique et s’attaque à toutes les formes de punaises de lit, qu’elles soient jeunes ou adultes.
Projet Breaking Bugs : un piège ingénieux développé par des étudiants Marseillais
C’est au cœur de l’IHU Méditerranée Infection, à Marseille, qu’un groupe d’étudiants en biologie a décidé de s’attaquer à l’un des nuisibles les plus tenaces de nos logements : la punaise de lit. Leur idée ? Créer un piège biologique intelligent capable non seulement de tuer l’insecte, mais aussi de contaminer toute sa colonie. Le nom du projet : Breaking Bugs.
➡️ Voici sa présentation en vidéo :

Fonctionnement du piège
Le fonctionnement repose sur trois leviers :
- Attirer,
- Contaminer,
- Disséminer.
Pour cela, les étudiants se sont inspirés du langage chimique des punaises elles-mêmes. Ces insectes communiquent via des phéromones présentes dans leurs déjections. En reproduisant ces signaux grâce à une bactérie génétiquement modifiée (Escherichia coli), les chercheurs sont parvenus à attirer les punaises directement dans le piège. C’est à ce moment que se déroule la deuxième partie du piège.
Objectif : contamination en chaine
Le processus est ingénieux : une fois entrée dans le piège, la punaise est contaminée par le champignon Beauveria bassiana (qui pénètre l’exosquelette de l’insecte), mais elle ne meurt pas immédiatement. Ce décalage est volontaire. Cela lui laisse le temps de repartir dans sa cachette, de se mêler à ses congénères… et de les infecter à son tour.
Comment ? Grâce aux spores du champignon qui s’accrochent à sa cuticule (sa carapace). Ces spores sont invisibles à l’œil nu, mais redoutablement efficaces. Lorsqu’une punaise contaminée entre en contact avec une autre, elle peut transmettre le champignon, déclenchant ainsi une chaîne de contaminations silencieuse, mais destructrice.
Ce concept de contamination en chaîne permet d’atteindre les zones inaccessibles où les punaises se cachent et de cibler l’ensemble des stades de développement : œufs, nymphes et adultes.
Contrairement aux insecticides classiques qui tuent sur place (et manquent donc les punaises cachées), ce système s’infiltre dans le cœur de la colonie. Encore plus prometteur : les étudiants travaillent à rendre le champignon plus virulent en modifiant génétiquement certaines enzymes, pour accélérer l’action létale et réduire le temps de traitement à seulement quelques jours.

Quels sont les avantages de cette méthode ?

L’utilisation du champignon Beauveria bassiana contre les punaises de lit présente plusieurs atouts, surtout face à des insectes de plus en plus résistants aux traitements classiques. Voici pourquoi cette piste biologique attire autant l’attention des chercheurs.
1. Une solution naturelle
Le Beauveria bassiana est naturellement présent dans le sol. Ce champignon est d’ailleurs déjà utilisé depuis des années dans l’agriculture biologique pour lutter contre d’autres ravageurs. Il ne laisse aucun résidu toxique dans les habitations.
2. Une efficacité sur tous les stades de vie des punaises de lit
Tuer les œufs ou les nymphes est difficile avec les traitements traditionnels. Le champignon, lui, infecte les punaises quel que soit leur âge, tant qu’il entre en contact avec leur cuticule. Cela permet d’agir sur toute la colonie, y compris les individus en développement.
3. Un effet domino redoutable
Une punaise contaminée peut infecter ses congénères au sein même de leur cachette. C’est ce qu’on appelle la transmission horizontale. Résultat : même celles qui n’ont jamais mis une patte dans le piège peuvent être touchées. Toute la colonie peut ainsi être éradiquée, sans avoir besoin d’un contact direct avec le traitement.
4. Contourne les résistances aux insecticides
Depuis plusieurs années, les punaises de lit développent une résistance importante aux insecticides classiques. Les produits chimiques, autrefois efficaces, peinent aujourd’hui à éradiquer totalement une infestation. Résultat : les traitements sont plus longs, coûteux, et lorsqu’on augmente les doses, toxiques pour l’homme et son environnement. Beauveria bassiana contourne cette problématique : son action est biologique et mécanique, donc impossible à contrer par mutation ou sélection génétique.
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5. Adaptable et potentiellement peu coûteux
Grâce à l’utilisation de bactéries génétiquement modifiées (comme Escherichia coli) pour produire les phéromones ou renforcer les enzymes du champignon, cette méthode pourrait être produite à grande échelle à faible coût, une fois les essais finalisés.

Des défis à relever avant une commercialisation en France
Bien que le projet Breaking Bugs suscite un vif intérêt, son déploiement à grande échelle en France n’est pas encore d’actualité. Plusieurs obstacles doivent être surmontés avant une éventuelle commercialisation :
- Tests en conditions réelles : Jusqu’à présent, les expérimentations ont été menées en laboratoire. Des essais sur le terrain sont nécessaires pour évaluer l’efficacité du dispositif dans des environnements variés et complexes.
- Homologation réglementaire : En France, l’utilisation de biopesticides comme Beauveria bassiana requiert une autorisation spécifique. Le processus d’homologation peut être long, impliquant des études approfondies sur la sécurité et l’efficacité du produit.
- Production à grande échelle : La fabrication du piège implique des procédés biotechnologiques avancés, notamment la modification génétique de bactéries pour produire des phéromones. La mise en place d’une chaîne de production fiable et économique est un défi important.
Pendant que la France explore cette voie innovante, le Canada a déjà adopté une approche similaire avec le produit Aprehend®. Ce biopesticide, à base de spores de Beauveria bassiana, est utilisé par des professionnels pour lutter contre les infestations de punaises de lit. Sous forme de spray, il permet de pulvériser le produit sur des surfaces où les punaises sont susceptibles de passer, comme les plinthes ou les cadres de lit.